Avant de participer au festival Points de Vue à Bayonne, l’artiste Taquen à passé 3 semaines de résidence dans la commune de Saint-Palais.
Le Madrilène a réalisé un parcours de fresques, illustrant le vol d’une palombe, en lien avec le projet prévu à Bayonne. Une expérience qu’il partage avec nous sous la forme d’un récit.
Cette présence artistique au pays de Mixe, dans la province basque de Basse-Navarre, a également été l’occasion de rencontrer les élève du collège d’Amikuze pour une initiation au street art et un workshop mêlant arts plastiques et pratique de l’espagnol.
« Tout animal sauvage, oiseau, poisson ou insecte, est plus sensible au mouvement qu’à la présence formelle ou matérielle ».
Les structures anthropologiques de l’imaginaire – 12e éd., de Gilbert Durand
Saint-Palais (Donapaleu en basque) est une petite ville située au Pays basque français, étape obligatoire pour les pèlerins sur le Camino de Santiago avant de traverser les Pyrénées.
Chaque fois que je voyage pour peindre, j’essaie de profiter au maximum de mon temps pour découvrir les lieux en me promenant pendant mon temps libre, en allant courir tôt le matin ou en utilisant le vélo comme moyen de transport. En ces temps frénétiques, il est très difficile de réaliser où vous êtes vraiment, ce qui vous entoure, à quoi ressemble le sol sur lequel vous marchez tous les jours ou à combien de mètres de l’hôtel se trouve le mur sur lequel vous allez travailler.
Cette fois, j’ai décidé d’utiliser mon travail comme prétexte, pour créer du lien entre mon environnement, mon corps et le mouvement comme point de départ.
Ce n’est pas facile de peindre dans un ville comme Saint-Palais, où ce type d’intervention est pour le moins inhabituel. Le processus devait être différent, intime et responsable, comme lorsqu’on aborde quelque chose qu’on ne connaît pas. Il fallait avancer petit à petit et avec prudence.
Ma première intention et cela s’est répété les jours suivants, était de me promener dans la ville, de la comprendre, de l’intérioriser et en même temps, de laisser la ville se découvrir au gré de déambulations. Je cherchais des sites intéressant, prenais des notes et j’enregistrais mes déplacements. Sans m’en rendre compte, je créais un chemin que je répéterais encore et encore pendant les 18 jours de ma résidence…
Chaque jour je profitais des matinées pour aller courir ou faire du vélo et ainsi visiter d’autres lieux, plus éloignés, allongeant ainsi le tracé de mon corps sur la carte et générant en moi une vision plus globale et précise de la région, essayant de m’y sentir aussi à l’aise que possible.
j’ai commencé à organiser et enregistrer mes déplacements, à pied, en courant ou en pédalant. La répétition du même itinéraire commençait à être routinière et me permettait de rechercher des détails qui, lors de mes premières visites, passaient inaperçus. La surprise initiale s’est transformée en confiance, la reconnaissance de l’espace s’est affinée et les détails sont apparus.
Mes pas dessinaient des itinéraires sur une carte qu’un GPS se chargeait d’enregistrer, me permettant de créer un « sentier » ou une empreinte digitale qui génère un dessin aléatoire et improvisé dans l’espace.
L’action de marcher était comme prendre un crayon et, inconsciemment, le faire glisser encore et encore sur le papier, traçant des lignes qui à plusieurs reprises et par hasard ont fini par coïncider et laisser place aux premiers dessins :
Après 4 jours, les emplacements des peintures ont été définis. Nous avions sélectionné 7 murs pour intervenir et j’avais parcouru un peu plus de 80 kilomètres. Le dessin sur la carte s’agrandissait, ainsi que la connaissance de l’espace, des rues, des places, des églises, des arbres, des restaurants ainsi que les fameuses pâtisseries françaises qui me semblaient déjà familières.
Je savais où trouver les meilleurs légumes, à quelle heure et sur quelles façades le soleil tapait (quand il ne pleuvait pas), où prendre un bon café et quelles rues les pèlerins empruntaient pour traverser la ville, avant d’atteindre les Pyrénées. Le rugby se jouait le samedi en périphérie, les écoles étaient proches de l’hôpital, les habitants commençaient déjà à me saluer et le dimanche TOUT fermait. Bref, le mouvement m’avait permis de découvrir et de me découvrir.
Le cinquième jour, j’ai commencé à peindre.
Le projet artistique consistait en la réalisation simultanée de 7 fresques réparties sur 7 sites (voir carte ci-dessous), qui une fois terminées constitueraient une seule pièce.
Chacune des fresques devait correspondre à une « trame » de la séquence de vol d’une palombe, un pigeon sauvage emblématique de cette zone du Pays basque français, qui effectue chaque année de grands voyages migratoires jusqu’à son arrivée ici.
Je voulais les peindre les 7 simultanément, à la chaîne, et poursuivre étape après étape, mes trajets quotidiennes.
Chaque jour, j’ai commencé à peindre là où je m’étais arrêté la veille. J’ai d’abord commencé à esquisser tous les pigeons; quand j’en avais terminé un, je marchais jusqu’à l’emplacement suivant et ainsi de suite jusqu’à ce que les tracés des 7 pigeons furent terminés. Par la suite, j’ai suivi le même processus de création pour chaque couleur. Au total, j’ai réalisé 18 couches de couleurs et autant de trajets trackés entre chaque sites.
La dernière phase, correspondait à finaliser les fresques avec mes lignes et à l’enregistrement photographique de toutes les peinture, une par une, pour créer l’œuvre finale : une séquence animée de vol de palombe qui devait unifier toutes les fresques.
Les kilomètres, les pas, les jours, les intempéries et des anecdotes se sont produits tout au long du processus créatif et j’ai continué à enregistrer mes déplacements, générant ainsi une carte thermique quotidienne, qui s’ajoutait à celles des jours précédents, créant une sorte de journal de bord de mes randonnées. Tous mes déplacements, je les ai réalisés avec une échelle, de l’eau, des croquis, un petit seau de peinture et quelques pinceaux.
Après 5 jours d’acclimatation et de repérage et 13 jours de peinture et de marche, le projet était arrivé à son terme.
dont 192,3 km de course,
116,9 km de marche et 68,3 km à vélo.