Avant de participer au festival Points de Vue à Bayonne, l’artiste Rouge était en résidence dans la commune de Urrugne.
Peinture réalisée avec la participation exceptionnelle de l’artiste @manolo_mesa
Photos : © AM – Vidéo : © Julien Dizdar
« Quand les hommes sont morts, ils entrent dans l’histoire. Quand les statues sont mortes, elles entrent dans l’art. Cette botanique de la mort, c’est ce que nous appelons la culture. »
Chris Marker – Les statues meurent aussi
Il est impossible de se rendre au Pays basque sans comprendre qu’une singularité identitaire, culturelle et écologique y règne. Je ne suis pas la première à le commenter (même Orson Welles s’y est adonné) . Lovée dans un panorama spectaculaire, une fierté habite là où les montagnes se jettent dans la mer.
La question qui m’habite ici est : qu’est-ce qu’une culture vivante? Doit-elle craindre davantage d’annexer des influences venues d’ailleurs, d’ouvrir son sein le plus intime aux étrangers, aux touristes, aux flux, ou de se trouver muséifiée, folklorisée, voire de mourir dans le secret quand l’âge vient cueillir ses derniers représentants?
La continuité culturelle est un sujet pour les artistes également : il existe une tension entre la tentation de conservation et celle de transmission , de diffusion et de visibilité. Cette question est peut être encore plus sensible sans les arts urbains , où le partie pris du public se paie souvent au prix de l’éphémère , de l’érosion , autant d’implications que nous intégrons souvent comme terrains de jeu plutôt qu’en tant que contrariétés.
J’ai eu envie d’aborder cette question par un détour botanique, parce que le territoire est particulièrement riche en écosystèmes spécifiques, abris précieux de nombreuses espèces rares et menacées. Dans la région vivent des oiseaux dont il n’existe plus que 3 individus et dont la reproduction est cruciale ( cette idée n’en finit pas de m’abasourdir ). J’ai eu la chance de rencontrer Imanol à l’Observatoire du littoral et notre échange a confirmé mon intuition : on trouve dans la nature autant de rapports de symbiose que de tension, voire d’invasion ou de menace. J’ai appris qu’une espèce même envahissante pouvait ne pas être considérée comme telle tant qu’elle est identifiée comme autochtone ; pourtant si on pense en temps géologique tout vient d’ailleurs, rien n’est d’ici. Il en va de même pour tout : nos habitudes culinaires, nos motifs, nos danses et nos chants. Et le statut d’autochtone dépend parfois de facteurs aussi subjectifs que le capital sympathie d’une fleur par exemple, ou de l’usage populaire qui l’érige en emblème. En botanique on peut parler d’espèces mutualistes, sentinelles, ou ingénieurs, selon le rôle qu’elle joue dans un écosystème et j’y ai trouvé l’angle à la fois politique et poétique que je recherchais.
J’ai identifié un cycle en particulier, une collaboration incroyable entre une fleur (la gentiane des marais), un papillon (L’Azuré pulmonanthe) et une fourmi (la Myrmica), dont la symbiose est à la fois menacée et autorisée par les pratiques d’écobuage.
Lorsque l’on s’intéresse au vivant, on découvre vite que rien n’est simple, ni manichéen.
À cette recherche est venue se superposer une toute autre histoire, qui est l’importation aux Etats-Unis du savoir-faire pastoral basque entre 1850 et 1950. Ce qui m’a percutée dans cette diaspora de bergers, c’est la possibilité d’amener le Basque, dont l’identité est si forte, à un moment de l’histoire où il fut un étranger quelque part, une espèce importée et ingénieure, dont l’action sur un territoire en a modifié les usages.
Le détour par la faune et la flore m’autorisent un autre parti pris : traiter un sujet qui m’est cher, celui d’une équivalence du vivant, d’une sensibilité au tissus du monde dans lequel nous sommes pris.
Cette équivalence, je le pressens depuis longtemps, s’incarne dans la peinture en elle-même : matière pigmentée dont la chair forge autant la laine du mouton, l’épiderme d’une main, le reflet d’une fenêtre. Car en terme pictural, nous ne sommes jamais rien de plus que des lignes et des touches juxtaposées.
Quand je compose une œuvre j’aime que s’y entrechoquent des images, et qu’elles s’interrogent entre elles ou tissent une histoire. C’est un dispositif que je crois emprunter au cinéma, pour forger des intrusions d’hypothèses les unes dans les autres.
Un très grand merci à @albanmorlot et à Damien Boyer d’avoir compris, encouragé et nourri un champ de recherche libre et expérimental sans exiger à aucun moment un résultat séduisant. Merci à @manolo_mesa de m’avoir aidée à penser et peindre cette fresque. C’était une joie à quatre mains. Merci également à tous ceux qui m’ont offert leurs anecdotes, leurs cafés, leur bonne humeur, leur compagnie.
J’ai hâte de revenir.
– Rouge